Mont-Châtelet 2010-2011

Martin Lord

 

 

 

 

 

 

Créer une œuvre commune en confrontant une technique artisanale traditionnelle à l’univers de la création artistique contemporaine : tel est le pari renouvelé qui fonde la résidence d’artiste de Martin Lord au lycée de Varzy. Dans le cadre du label Excellence Métiers d’Art, cette situation d’apprentissage unique permet de réinvestir des connaissances et des savoir-faire techniques tout en ouvrant de nouveaux horizons esthétiques et culturels.

Casquettes-bérets, catogans, tabliers de forgeron et lunettes de soudeur : une unité de style qui détone dans la population scolaire du collège-lycée de Varzy. Entre la guilde et le gang, les vingt trois élèves de la section ferronnerie se distinguent de loin. Nulle arrogance élitiste, cependant. Juste cet esprit de corps qui se tisse spontanément entre des individus unis par la transmission d’un savoir-faire à la fois ancestral et contemporain.

Premiers pas dans l’atelier : surchauffe d’odeurs âcres qui saisissent la gorge, pyrotechnie de la forge dans le clairobscur du hangar, le tout rythmé par une symphonie bruitiste digne d’un concert de rock industriel. Une fois passé le choc sensoriel, le regard s’attarde sur les élèves travaillant avec ce mélange très particulier de décontraction nonchalante et de concentration aiguë sur l’outil, sur le geste professionnel à accomplir. La qualité de l’attention portée aux conseils de Cédric Charpentier, enseignant en ferronnerie, en dit long sur la nature et la qualité de la « distance professeur-élèves » qui règne en ces lieux : une autorité reposant exclusivement sur la compétence, l’expérience, et surtout une passion évidente pour le métier.

C’est alors que l’œil accroche des détails insolites : quelques plaques métalliques à la forme particulière, dont on ne perçoit pas la fonction immédiate dans un atelier de ferronnerie. Chacune d’elle, de taille différente, représente le même motif : une sorte de visage stylisé à l’extrême, dont la bouche béante semble figée en un cri silencieux. L’esprit cherche spontanément à se représenter l’effet que produira l’installation finale, lorsque tous ces éléments en deux dimensions seront assemblés en une sculpture d’un volume imposant. Les explications de Martin Lord, artiste en résidence, offrent quelques indices : « Dans ce projet entrent en jeu de l’art optique, de la géométrie. Il y a une confrontation entre l’ordre et le rythme, induits par la répétition de cette tête qui fait « oooh », et des petits objets hétérogènes et irréguliers qui prendront la forme de lettres éparses, figurant des onomatopées. »

A l’origine de cette création singulière, effectuée dans le cadre du label Excellence des métiers d’art, il y a un projet artistique ambitieux et de longue haleine. Après une expérience de résidence d’artiste réussie en 2009-2010, il s’agissait de renouveler l’expérience en partant sur d’autres bases. Céline Poulin, responsable du projet Hors les-murs au Parc Saint-Léger, Centre d’Art Contemporain, explique l’intention de départ : mettre « chacun en situation d’apprentissage » en confrontant des apprentis ferronniers à un artiste ignorant tout de ce domaine. Dessinateur au trait épuré, Martin Lord a un univers figuratif et symboliste qui semble a priori aux antipodes des vrilles et des volutes de la ferronnerie d’art.

« Au début, les élèves ne savaient pas où me placer. J’ai été assez curieux pour les rendre eux-mêmes curieux. »

Décembre 2010 : présentation de la résidence, du projet, du travail de Martin Lord. Premières réactions où dominent l’étonnement, voire l’incompréhension. Cependant, c’est l’ouverture qui domine. « Certains embarquent tout de suite », commente l’artiste québécois. « Pour d’autres, le chemin sera un peu plus long ». Rapidement, les questions émergent et beaucoup d’entre elles tournent autour de la définition de l’art et du rôle de l’artiste, ce qui permet à ce dernier d’apporter un grand nombre de références.

Janvier 2011 : conception du projet. Influencé entre autres par la bande dessinée, Martin Lord oriente délibérément le projet de résidence sur le thème des onomatopées. Faut-il voir dans ce choix une métaphore des balbutiements des élèves et de l’artiste s’initiant mutuellement au B.A. BA de leurs domaines respectifs ? L’artiste avance plutôt l’hypothèse de la double lecture que permet l’onomatopée, notamment dans le contexte d’une prise de parole symbolique dans un espace public, puisque Lucien Larrivée, maire de Varzy, a donné son accord pour que l’œuvre soit installée sur l’une des voies d’accès à la commune.

Pendant quatre jours de brainstorming, le projet s’élabore par le biais d’esquisses, de dialogue et de débats, dans une alternance d’explorations libres et de nécessaires phases de recentrage guidées par l’artiste. Le cahier des charges restant très large, les vannes de l’imagination peuvent s’ouvrir. Au quatrième jour de travail, on quitte la planche à dessin pour « passer à la 3D » en élaborant les premières maquettes en carton ou en pâte à modeler. « C’est là pour la première fois que j’ai vu la lumière dans leurs yeux », commente Martin Lord. Dans cette phase initiale de co-création, où les enseignants restent encore relativement en retrait, des liens de confiance, voire de complicité, se sont tissés entre l’artiste et les élèves.

Février – mai 2011 : phase de réalisation. Les débuts sont difficiles, mais l’erreur payante : les étudiants se lancent dans l’exécution de leurs idées avec la hâte de l’enthousiasme, en payant bien vite les pots cassés de leur manque de préparation : « Dès que Martin est arrivé, observe Cédric Charpentier, les élèves ont foncé droit dans les erreurs. » En février, une seule tête produite en quatre jours, contre six à huit un mois plus tard et dans le même laps de temps. Cette fois-là, les étudiants ont tiré les leçons de la session précédente.

« Sur le plan de la réalisation, explique le professeur en ferronnerie, le métier est relativement simple : c’est l’ensemble des étapes qui forme un ensemble compliqué. » Une occasion pour les élèves d’en apprendre beaucoup sur la méthodologie, sur l’importance de la préparation, de l’anticipation. Le rôle des enseignants s’avère ici particulièrement déterminant pour aider les élèves à mobiliser les savoir-faire et à réinvestir les savoirs théoriques que certains d’entre eux s’étaient empressés d’oublier ! Règles de proportionnalité, notions de géométrie, de chimie moléculaire… autant de connaissances dont l’application concrète est indispensable afin de traduire les choix esthétiques avec les techniques adaptées. Plus important encore : en corrigeant leurs erreurs, les élèves ont appris « qu’on ne peut pas repartir de zéro ».

« Aider les élèves à s’émanciper dans leur esprit »

Destinée à être posée et inaugurée en juin, l’installation est l’aboutissement d’une résidence de vingt jours, sans compter le travail hors présence de l’artiste. Le tout dans une formation d’un an dont le programme est déjà riche, pour ne pas dire surchargé. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Selon les enseignants, qui s’investissent sans compter dans cette action, celle-ci représente un aboutissement des apprentissages menés depuis le début de l’année. Grâce au projet, les élèves prennent conscience des conséquences de leurs gestes professionnels tout en découvrant que l’ou peut utiliser des outils dans un but non utilitaire. Travail de recherche, expérience relationnelle intense, cette action « aide certains élèves à s’émanciper dans leur esprit », selon Cédric Charpentier.

Propos confirmés par les élèves eux-mêmes : pour Yolande, 22 ans, titulaire d’un bac AMA, seule femme dans une section à majorité masculine, le projet a favorisé une ouverture culturelle tout en rendant possible de nombreux apprentissages, notamment en métallerie. Il a également favorisé des prises de conscience déterminantes, à commencer par celle de la rigueur dans le processus de création : « C’est un vrai plaisir quand on arrive avec toutes nos vis et que tout se monte tout seul », affirme-t-elle. La complémentarité d’un groupe sur lequel on peut compter est aussi un acquis important, même s’il « faut quand même tout essayer pour nous perfectionner nous-mêmes. » A l’aise dans une équipe masculine et dans un métier qualifié à tort, selon elle, de « métier d’hommes », Yolande compte poursuivre la formation de perfectionnement d’un an en ferronnerie d’art dans la perspective de concourir pour le Prix Avenir Métiers d’Art INMA.

Brice, 19 ans, est arrivé dans la section après un CAP de serrurerie. Plus sensible aux acquis techniques que le projet lui a permis d’obtenir dans les domaines de la soudure ou de la construction des cadres, il apprécie lui aussi le climat de solidarité et d’entraide permanentes qui règne dans l’atelier. Elève en difficulté et peu sûr de lui, la résidence d’artiste l’a encouragé à s’exprimer et à trouver une confiance nouvelle grâce à un défi lui permettant de se mesurer à lui-même. « Avec un projet comme ça, on voit ce qu’on vaut », conclut-il.

Emmanuel Freund, mai 2011

 

 

 

A propos de la résidence :

http://varzy2011.canalblog.com/archives/2011/06/30/21715345.html

http://artsculture.ac-dijon.fr/spip.php?article51

A propos de l’artiste :

http://www.martinlord.info